photogrammes


J'ai pensé extraire de la bobine super 8 le premier et le denier photogramme, ceux qui disent le trajet du film, de la caméra, du corps qui la porte. Ces deux images sont toujours dévorées par le vide qui précède et qui suit, tantôt une fuite de lumière, plus tard, la trace de la colle qui lie le film à l’amorce. Je pense : “la pellicule refuse sa mort autant que sa naissance”... mais je n’y crois pas vraiment. 



je me suis réveillé tôt
les amis dorment encore dans la vieille prison où Elsa et son collectif ont établi résidence pour quelques mois
dans le jardin public de saint-omer
les oiseaux sont en cage
la caméra est prise entre profond dégoût de ces barbelés ridicules et douceur du plumage
fantasme persistant d’un devenir oiseau, disparu
sur le bord du canyon du ghoufi
les commerçants dépérissent dans un désert sans touristes
si ce n’est moi
entre les falaises à quelques pas de la mosquée en ruine
en contrebas des balcons en pierre où vit encore dit-on une vielle dame seule
des rangers de palmiers s'organisent en oasis
du haut de l’hôtel français bétonné dans la roche et couvert de graffitis
je capture sans trop de conviction ce non-lieu brûlant et la pellicule se finit là.
alors sur le chemin du retour lorsque nous traverserons arris
je ne filmerai pas ces femmes Amazighs dos courbés par le temps
qui redescendent la montagne
escortent les moutons vers le village
la bobine s'ouvre été se clôt printemps suivant



alentour de la rivière du nord
le bruit des cascades est si virulent qu'il impose le silence troublante accalmie du bassin pris entre le torrent qui se précipite et celui qui aspire
elle annonce un film traversée hivernale
chaque matin
les oiseaux à la fenêtre
la solitude pandémique
calme tourbillon
j'ai grandi au pied d'un pommier en fleurdeux semaines chaque année jusqu'au dix-huitième printemps
aujourd'hui ma nièce joue dans le jardin
tend un bouquet de marguerites sauvages au monsieur qu'elle connaît à peine
le prix de l'exil : devenir inconnu à sa propre jeunesse


la mise au point dédouble l'image
elle devient souvenir flou éclat rouge
où l'on fait croire qu'il y avait quelqu'un
sur la montagne dans les fissures des murs de vos enfances
les cardons et les aloès survivent à la sécheresse
le soir nourrir les poules remplir nos bouteilles à la source
le matin, que le silence du vent sur les pierres
comme un mardi
9 mai 2017
je retourne sur les lieux
pour photographier de nouveau l'ancienne image
reproduire l'immuable qui occulte le temps
sous le pont mirabeau et autres clichés